Entretien avec Anne-Marie AMOROS, figure inspirante de la radio dans l’Hérault

- 08 mars 2024

Étiquettes : ,

Ce vendredi 8 mars nous célébrons la journée internationale des droits des femmes. Au sein du dispositif du Territoire Numérique Educatif de l’Hérault (TNE 34), nous menons des actions pour promouvoir la place du numérique dans l’éducation. A l’occasion de cette journée, nous avons souhaité vous interroger sur la place des femmes et des jeunes filles dans un des domaines du numérique, la radio. Il nous semblait donc important de partager le témoignage d’une figure inspirante de la radio dans l’Hérault.

Pour reprendre votre parcours, vous avez commencé la radio en 1988. Vous êtes directrice de France Bleu Hérault depuis environ 5 ans. Vous avez été formatrice pour la Fondation Hirondelle pour le projet radio GAFA, en Tunisie, pour le CFPJ de Paris, avez dirigé des missions pour une Fondation Suisse Hirondelle, en République Démocratique du Congo sur le Rwanda en République Centre Afrique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Oui, j’ai travaillé pour la Fondation Hirondelle, qui crée des médias en zone de conflit. Je suis partie pour la Fondation Hirondelle au début pour former des journalistes pendant 3 mois, et finalement je suis restée 3 ans. J’ai aussi travaillé sur le site internet du Tribunal international du Rwanda basé en Tanzanie pour le rendre plus accessible au grand public suite au massacre du Rwanda. Après j’ai mis en route la première radio post révolution en Tunisie avec un modèle de radio de service public démocratique. Et dans toutes ces missions, il y a toujours eu la question des femmes puisque c’est une question centrale dans tous ces médias. La question des femmes est centrale dans tous les processus démocratiques.

Mais pour revenir au tout début de mes études, j’avais beaucoup de mal à rester en classe et le modèle scolaire n’était pas satisfaisant, car je ne pouvais pas déployer toute ma créativité. En revanche, j’ai eu la chance de faire de la musique au conservatoire en tant que violoncelliste et une école de stylisme à Paris. Plus tard, j’ai cherché quelque chose qui me permette de satisfaire ma curiosité et j’ai commencé en radio associative. Ensuite, j’ai intégré le service public : je travaillais pour la télé à France 3 puis je suis arrivée en Creuse.

Pourquoi la radio ?

Ce qui m’intéressait le plus en radio, c’était les témoignages. La radio m’a permis de satisfaire ma curiosité. Quand on travaille en radio, on rencontre toutes sortes de gens. Ça peut être aussi bien un ministre que quelqu’un qui vit dans la rue, qu’une femme qui se mobilise dans une association, etc. En Creuse où j’étais animatrice, un ami m’a dit : « Tu es en train de faire un collectage incroyable, pourquoi tu ne rentrerais pas à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) ? Tu pourrais entrer en maitrise. » Et c’est ce que j’ai fait. J’ai eu une chance incroyable. J’ai donc continué à travailler en radio, à faire des documentaires pour France Culture. Je suis un peu ce qu’on appellerait aujourd’hui une hyperactive.

J’ai donc obtenu mon DEA (Diplôme d’Etudes Approfondies, équivalent du master), avec mention, sous la direction de Pierre Laborie (L’Opinion française sous Vichy, 1990). J’ai également constitué le premier fonds d’archives sonore des personnes qui ont sauvé des enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Je voulais savoir ce qui fait qu’à un moment donné, un citoyen, quel qu’il soit, peu importe ses appartenances religieuses, peu importe ses appartenances politiques, peu importe s’il est politisé ou pas, va, au risque de sa vie, sauver d’autres personnes et notamment des enfants.

Outre la notion de témoignage, y a t-il une autre raison à cet engouement ?

Ce qui m’intéresse en fait, ce sont les gens, ce sont les autres. Je crois que l’être humain est fait de ce qui le compose, c’est-à-dire de sa personnalité, de son parcours, de ses origines, de là où il est né, de là où sont nés ses parents, donc des cultures qui s’additionnent parfois. Mais aussi de ses valeurs et de ses conditions.

Ce qui fait que la démocratie tient, c’est parce qu’il y a des gens qui sont investis de valeurs. La démocratie pour moi c’est quelque chose de très important également, comme l’esprit de la République. Ce sont des valeurs fondamentales de liberté. Et en découvrant ces gens que j’ai interrogé, et qui étaient devenus pour certains vieux ou adultes, j’ai plongé dans un univers de personnes qui avaient un courage inouï. Et j’ai trouvé que c’était des destins absolument extraordinaires dont on pourrait avoir besoin aujourd’hui et dont on a besoin, pour se cultiver et cultiver la notion de paix. Parce que s’il n’y a pas des gens valeureux, il n’y a pas de paix possible. Et donc j’ai commencé à travailler là-dessus.

Vous savez je suis née en Algérie en 1962. Du côté de ma maman, ma famille est espagnole. Du côté de mon papa, j’ai une grand-mère d’origine espagnole et un grand-père français. Donc l’exode, la guerre, l’identité sont des questions qui m’ont toujours beaucoup interrogée. Et la question de l’identité, elle est fondamentale. Le fil conducteur est en fait la perte d’identité. J’ai toujours pensé que le rôle d’un média de service public c’était de rendre compte de ce qui se passe et faire cela c’est rendre compte de ce qui fait un territoire, de ce qui fait le terreau humain. Et là, on avait une terre et un territoire absolument exceptionnels.

Parmi ces personnes exceptionnelles, est-ce qu’il y a des femmes qui vous ont marqué ?

Oui, il y a deux femmes clés dans cette histoire. Il y a une femme qui s’appelle Pauline Gaudefroy (membre du réseau Garel), qui était une jeune femme qui a caché et fait passer énormément d’enfants, mais qui a été arrêtée et torturée au-dessus de Limoges. J’ai mené plusieurs travaux sur elle. Le rôle de la radio publique est de rendre compte. Je ne crois pas au devoir de mémoire, mais je crois au devoir d’humanité.

J’ai donc commencé à collecter le témoignage de Pauline Gaudefroy. Et à un moment donné, il y a un monsieur qui m’a dit, mais si vous voulez vraiment que tous les anciens enfants cachés vous parlent, il faut que vous alliez voir Raya Jacob. Si Raya dit oui, vous pourrez avoir la validation de tout le monde. Et je suis allée voir Raya à Paris. C’est une toute petite femme qui a emmené son frère et sa sœur sous son bras pendant la Seconde Guerre mondiale. J’ai passé presque une journée avec elle. A à la fin, elle m’a dit, « Vous pouvez revenir, on va continuer ». Et à partir du moment où Raya a dit oui, tous les autres ont dit oui. Mais cette femme a eu une vie absolument incroyable et elle m’a ouvert la compréhension sur ce qu’était ce parcours pendant cette période.

Ce qui vous raccroche à la radio ce n’est donc pas tant une figure de la radio, mais le témoignage, le renouement avec son identité. C’est rendre compte de l’humanité. Vous m’avez dit que la femme avait une place très importante dans votre parcours. Pouvez-vous me donner d’autres exemples ? Quels sont vos engagements pour la cause féminine ?

J’ai toujours été très engagée sur cette question-là. Quand j’ai commencé en radio, mes directeurs étaient des hommes, il n’y avait quasiment pas de femmes. J’ai été obligée de me battre pour me faire entendre, pour me faire reconnaître. A un moment donné, sur les 44 radios en réseau de France Bleu, il n’y avait qu’une seule directrice, c’était moi. Donc j’ai connu cette période où il n’y avait quasiment pas de directrices. Pour moi la place de la femme dans tous les processus décisionnaires de la société est essentielle parce qu’elle constitue la diversité de la société. Comme toutes les représentations sont essentielles.

Il est primordial que toutes ces jeunes filles auxquelles vous allez parler, sachent que lorsqu’elles aspirent à un métier, à un projet, elles ne doivent jamais s’en détourner et ne jamais faillir dans leurs propres convictions. En Mayenne, on a créé un club qui s’appelait le Club des gonzesses, de manière assez provocatrice, où des femmes d’univers et lieux très différents, se rencontraient pour s’accompagner, se coopter, pour s’aider. On a créé différents types de rencontres et créé un jeu qui s’appelle « Et pourquoi pas ? ».

Et pour moi, c’est essentiel que dès le plus jeune âge les filles décident de ce qu’elles veulent faire. Si ce qu’une fille veut c’est être présidente de la République, eh bien il faut qu’elle fasse tout pour y arriver. Et nous devons, nous les autres femmes, l’accompagner.

Vous m’avez donc parlé de ce que vous avez fait en Mayenne mais dans l’Hérault, est-ce qu’il y a des initiatives que vous avez mises en place ou que vous souhaitez mettre en place ?

Alors au niveau de la radio, des émissions dédiées à la journée du 8 mars vont être animées, nous allons inviter quelques femmes, notamment des femmes qui exercent une activité en lien avec les médias pour aborder la question de la visibilité des femmes dans les médias. Mais je déplore certains réseaux car il n’y a pas de mixité sociale. Et je pense que ça, c’est catastrophique. Donc après il faut trouver les bons réseaux de femmes qui s’ouvrent aussi.

Qu’entendez-vous par là exactement ?

Ce que je constate, c’est que la pratique des réseaux professionnels en France est très masculine. Les femmes n’avaient pas cette pratique du réseau. Aujourd’hui c’est beaucoup plus développé, mais elles n’ont pas su tout prendre ou créer une nouvelle forme de réseau. Je m’explique, vous allez avoir les réseaux des chefs d’entreprises. Très bien, mais elles ne sont qu’entre elles. En quoi sont-elles utiles aux autres femmes qui ne peuvent pas sortir de chez elles ? En quoi les aident-elles ces femmes ? On a besoin de mixité entre nous parce que nous avons besoin d’abord d’accompagner les femmes qui sont les plus exclues des systèmes, du travail, de la culture, et cetera.

Constituer des réseaux féminins diversifiés est donc très important mais en ce qui concerne les études, auriez-vous des conseils à donner ?

Pour la filière purement journalistique, beaucoup se dirigent vers un institut d’études politiques (IEP), mais il y a aussi la filière animation, animateur journaliste. Il y a des écoles privées et il y a l’INA, (Institut national audiovisuel), qui fait aussi des formations. Et il y a donc les universités d’été à Radio France grâce auxquelles on peut déjà faire un stage.

Quant aux métiers possibles à la radio il y a des techniciennes, des animatrices, des journalistes, des agents de gestion, des régisseuses, des cadres. Vous avez une responsable technique, une responsable des programmes. Ici à France Bleu Hérault il y a 32 personnes, femmes et hommes confondus.”

Nous espérons que ce témoignage inspirera le plus grand nombre. Nous laissons le mot de la fin aux écolières de l’école Mairan à Béziers, qui s’initient à la webradio. Elles aussi font entendre leur voix et interrogent une figure inspirante de la radio :

“Est-ce que les hommes vous respectent ? Est-ce qu’il y a beaucoup de filles à la radio ? Est-ce qu’il y a beaucoup d’hommes avec vous ?”

“J’avais jamais aimé me faire entendre, mais genre vers peut-être, le CE2 j’ai commencé à bien aimer, j’ai bien aimé me faire entendre même pendant un moment sur une application pas très connue je faisais des vidéos et tout et maintenant j’aime bien me faire entendre voilà“.

Retrouvez l’intégralité du podcast sur Radio Edu ou scannez le QR code ci-dessous.

Département Hérault Réseau Canopé Banque des territoires Trousse à projets France 2030 Région académique occitanie